Arapà
Itinéraire d’un groupe insulaire
Trouvant ses racines dans cette terre de l’extrême sud de la Corse, le groupe Arapà, constitué de puissantes voix d’hommes, raisonne depuis plus de vingt ans dans le cœur des Porto-Vecchiais, des Corses et bien au-delà. Leur histoire est belle, forgée de valeurs humaines, de belles rencontres et des aléas de la vie…
Caminante, no hay camino: se hace camino al andar
Dates clées
2000
Création de l’association Arapà
2006
Premier album « Viaghji in Corsica”
2013
Concert à l’Olympia
2015
Début de la tournée In Memoriam
2025
Sortie du prochain album
Le c(h)œur des hommes
Lorsque le groupe Arapà se forme en 2000, il ne s’agit pas de trois copains d’enfance qui se réunissent par amour du chant. Même si la musique est un dénominateur commun entre Don Mathieu Santini, Jacques Culioli et feu Antoine Albertini, leurs univers sont différents. En revanche, ils se croisent dans les cabarets de la région et lors des soirées culturelles et engagées. Là, où le chant corse milite et est porteur de rencontres, d’identité et d’espoirs d’émancipations…
Jacques Culioli, digne héritier du poète « U barbutu di Chera », issu de Canta, du Chœur d’hommes de Sartène und Surghjenti, et riche d’un réseau musical mondial, veut porter un projet d’échanges et de spectacles culturels ouvert aux musiciens du monde. Se retrouvant sur les mêmes valeurs, Don Mathieu et Antoine se joignent au projet : l’association « Arapà » est fondée.
L’été qui suit, l’association fait venir le groupe roumain Doïna de Transylvanie et le chanteur basque Beñat Achiary, eux-mêmes porteurs d’engagement et de culture. Les finances sont inexistantes car, il faut le noter, l’association qui se veut garante de sa liberté fonctionne sans subventions. Mais, parallèlement à Arapà, ces rencontres et ces amitiés nouvelles font que Jacques part à Sibiu dans les Carpates enregistrer son premier album solo.
L’association se produit pendant quelques années dans les églises avec ses voix, ses guitares et sa mandoline autour de chants polyphoniques et monodiques traditionnels, avec le guitariste Jean-Michel Panunzio qui les rejoint. Ils entament même, entre 2003 et 2004, deux tournées en Asie centrale et à Chicago.
La tournée asiatique marquera les dernières apparitions d’Antoine Albertini, au sein du groupe, qui disparaîtra deux ans plus tard. Arapà lui rendra hommage avec une chanson écrite par Alain Di Miglio et composée parJacques Culioli « Sona Antò ».
En 2006, Arapà enregistre son premier album, avec Jean-Michel Panunzio, « Viaghji in Corsica » à Paris. Un voyage au cœur de la Corse avec la reprise de chants traditionnels et populaires, comme la « Valse bastiaise » et la « Valse d’Omessa », terre originelle d’Antoine Albertini…
Jean-Charles Papi, qui vient de quitter le groupe Canta et de fonder Novi, rejoint l’association Arapà en 2006. La dynamique a changé, le groupe a étoffé son répertoire. En plus des chansons traditionnelles, les chansons de Jacques Culioli, celles des Surghjenti und von Canta résonnent alors dans le chœur des églises.
Le tournant du groupe
Un véritable tournant s’opère en 2009 avec l’enregistrement en live de son deuxième album, « In Cantu », à l’église de Portivechju. Arapà prend conscience de sa force, à savoir son adaptabilité et son expérience. A trois voix, deux guitares, une mandoline et un violon, ils sont capables de réinterpréter en église des chansons réservées généralement à des groupes plus nombreux. Et cela, dans un lieu où, à cette époque, peu de groupes ne s’est aventuré, où l’acoustique est particulière : celle des résonnances et des silences singuliers d’une église…
Le groupe écrit alors sa première création « Moru », inspirée du « Maure de Venise » de Shakespeare et, à partir de là, nait la certitude de pouvoir créer des compositions pour Arapà. Tout s’accélère alors : en 2012 le troisième album, en acoustique, « Caminante », voit le jour, avec toujours ses chansons traditionnelles, quelques reprises, mais aussi, pour la première fois, ses propres créations. L’esprit reste inchangé, c’est-à-dire l’harmonie de trois voix au son de la guitare et de la mandoline.
Puis suit, à l’automne, la date mythique du 16 Octobre 2013 où Arapà monte sur les planches de l’Olympia et offre l’année suivante un album et une tournée « Olympia » en Corse avec sept musiciens.
Repérés par des producteurs suisses, Arapà signe en 2015 une tournée qui passera par le théâtre du Léman à Genève. Mais les attentats de Paris viennent mettre un coup à cette dynamique : les salles se vident… Dans la foulée, le contrat suisse s’arrête et Jean-Charles Papi, tourné vers une carrière solo, quitte le groupe.
La force est toujours là, Sébastien Tramoni de Svegliu d’Isula rejoint Arapà, et le groupe porte le projet « In Memoriam », hommage aux soldats de 1914-1918, à travers un album et une tournée nationale. Mais les attentats de Nice en juillet 2016 porte un deuxième coup dur et les salles se vident de nouveau.
Arapà porte alors un nouveau projet « A Vigna incantata cù Arapà » où le concept est de valoriser le patrimoine corse en unissant le vin au chant. Huit domaines viticoles représentant les Appellations de Corse servent de scène et vibrent au son des voix d’Arapà durant l’été 2018.
Malgré l’arrivée du covid et les difficultés pour les artistes, Arapà entre en studio en 2020 pour sortir son dernier album l’année suivante. Mais Jacques Culioli attrape le covid delta. Treize jours de coma et un mois de réanimation meurtrissent son corps, meurtrissent sa voix…
Pour lui, pour le groupe, Arapà continue d’avancer et François Mozziconacci, membre de Canta, vient combler l’absence de Jacques. Finalement, il n’en partira plus. Il faut attendre 2023 pour que Jacques puisse retrouver le groupe. En 2024 le groupe s’enrichira d’une nouvelle voix, celle de Stéphane Serra, issu d’A Filetta.
Aujourd’hui, Arapà présente des concerts à quatre voix, avec le soutien ponctuel de Sébastien Tramoni, et est accompagné par Isabelle Arfi au clavier, Julien Murracioli à la guitare, Jeremy Lohier aux percussions et à l’accordéon et Elena Moncho Danélian au violon.
Des instants hors du temps
Attaché au respect de l’humain, à la découverte de l’autre et à l’Histoire des hommes, le groupe Arapà s’est aussi construit autour d’une expérience faite de rencontres et de moments forts.
Un de ces instants est le chemin croisé d’un architecte de Paris qui les engage pour chanter au mariage de sa fille. C’est un coup de cœur musical pour ce dernier et, le fait est, qu’il a rénové le Cirque d’Hiver et l’Olympia de Paris. Il invite le groupe pour une représentation au Cirque d’Hiver pour un colloque franco-britanique d’architectes. Le coup de cœur persiste, l’architecte leur propose de leur ouvrir les portes de l’Olympia en tant que mécène. Il est des propositions qui ne se refusent pas… Les voilà embarqués dans une aventure particulière, et il faut le dire, un peu folle, où, en autoproduction, il faut tout gérer de A à Z et jouer de ses réseaux. Dans les connaissances de Jacques, il y a l’arrangeur, compositeur et pianiste Costa Papadoukas qui aura la charge de l’arrangement du spectacle. Don Mathieu qui rêve de trouver un magicien de la lumière le trouve en la personne Alain Poisson, l’éclairagiste de la grande figure de théâtre Jérôme Savary. Résident à Carghjese, Don Mathieu part à sa rencontre, le feeling passe et Alain Poisson embarque dans l’aventure bénévolement… Plus encore, il le met en contact avec l’ingénieur son du groupe Téléphone : Dominique Forestier. Le spectacle est à la hauteur de leurs espérances et se mesure dans l’album live fait à cette occasion en one shot. De cette aventure reste des rencontres fortes, des lumières et des sons oniriques…
Il est un autre moment qui tenait particulièrement au cœur d’Arapà, et plus particulièrement, à celui de Jacques Culioli : rendre hommage aux soldats de la Grande Guerre. Depuis 2013, Jacques, Jean-Charles et Don Mathieu se rendent sur les champs de bataille pour chanter. Mais Jacques veut plus et porte son projet pendant deux ans pour offrir l’album « In Memoriam ». Témoignage musical unique où se retrouvent des chansons populaires corses et françaises, des lettres de soldats, des créations mais aussi un enregistrement du grand-père de Jacques. L’album est enregistré à Sibiu avec vingt-et-un musiciens et les arrangements de Gheorghe Brãnici de la Doïna de Transylvanie. Si l’album ne touche pas forcément un large public, il donne lieu à de belles émotions tels les concerts du Centenaire aux Chemins des Dames ou sur le front de Verdun…
Il y aussi la rencontre, en 2018, avec le pape François. Venu avec la délégation de l’abbé Constant, Arapà chante à la messe célébrée par le Cardinal Dominique Mamberti, suivi de l’audience générale sur la place Saint Pierre avec pour mission de chanter le « Dio vi salvi Regina » devant le pape. L’instant est magique… Le pape François leur dit alors « è la prima volta che sento una canzone dell’isola di Napoleone ». A cela Don Mathieu, en pointant inconsciemment son index sur lui, rétorquera « e di Pasquale Paoli, chè siamo figli della nazione corsa ». Petit sourire du pape François qui soufflera « è coraggioso »…
Les armes par la poésie
A ses débuts, Arapà est dans une démarche d’émancipation culturelle et politique, avec la volonté de réveiller la conscience corse mais aussi d’éveiller celle des visiteurs à travers leurs chants.
Cette sensibilisation se trouve dans l’expression de leur nom : Arapà est un plateau qui surplombe les baies de Santa Ghjulia et de la Rundinara, lieu où s’est installée la famille de Jacques au XVIIIème siècle. Un toponyme chargé de souvenirs et de traditions.
Il y a, également, une autre symbolique forte liée à ce nom : Arapà se retrouve sur tous les continents avec un sens différent : la lagune Arapa en Amérique Latine, en Occitan cela signifie « grimper », au Kazakhstan il est le jour qui précède le ramadan, à Madagascar il signifie le plancher, etc…
Arapà fait rejoindre le singulier à l’universel. Il était important pour le groupe que son nom symbolise leur part d’humanité, leur pierre à l’édifice dans le combat pour la langue et la culture corses, mais avec des racines ouvertes sur le monde.
Au fur et à mesure de ses représentations, Arapà prend conscience que son public est déjà sensibilisé à ces notions d’émancipation culturelle et politique, de langues minorées, de mondialisation, ou encore d’écologie, et est lui-même en attente de solutions…
Même si la Corse, et le monde dans son ensemble, semble être dans une situation d’échec, où le sentiment de dépossession de sa terre s’est généralisé et que le pessimisme plane au-dessus de nos têtes, Arapà continue de s’engager… Loin de vouloir être des donneurs de leçon, le groupe se bat pour ses valeurs avec ses armes, c’est-à-dire la poésie, ses réflexions et le partage d’émotions. Leurs messages sont universels comme l’amour, les attentes impossibles, le lien alchimique avec sa terre, l’exil, etc…
Le groupe soutient également les démarches et mobilisations collectives qui vont dans ce sens.
Même si Arapà a conscience qu’il n’est pas dans le meilleur des mondes, il sait qu’il n’y a pas de fatalité et que le chemin se fait en marchant, caminante…
Retrouvez le groupe Arapà en concert à Porto-Vecchio pour le Portivechju In Musica le mercredi 25 septembre 2024.