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ERNESTU
PAPI

Un passionné de la langue corse

Portrait d’un instituteur passionné qui a consacré sa vie à préserver et promouvoir sa langue maternelle à travers l’enseignement et de nombreux ouvrages.

Dès les années 1990, il se lance dans l’écriture, en commençant par des contes pour enfants, avant de se tourner vers des projets plus ambitieux comme des dictionnaires et des grammaires de la langue corse. Convaincu que l’écrit est un moyen essentiel de sauvegarder ce patrimoine en danger, il œuvre sans relâche pour que la langue corse continue de vivre à travers le temps.

Les paroles s’envolent, les écrits restent

Horace, poète latin

DATES CLÉS

1936

Inauguration du groupe scolaire Joseph Pietri

1965

Ernestu Papi devient instituteur

1989

L’instituteur devient maître directeur

2008

Parution de « Pruverbii, A sapienza è a saviezza di i populi »

Le quotidien d’une famille d’antan

Ernestu Papi fait partie de cette génération de fin de guerre, où le sentiment d’espoir et de liberté est confronté à une réalité de pauvreté et de dureté de la vie… Pourtant, c’est toujours avec un éclat dans les yeux que ces enfants d’après-guerre nous racontent leurs tendres années au cœur de leurs familles.

C’est à Rocca Puddetra, quartier d’une dizaine de maisons sur les hauteurs de la citadelle, que voit le jour, en 1943, Ernestu Papi. Famille d’origine modeste, sa maman reste à la maison pour s’occuper de ses huit enfants. Son papa, quant à lui, est ouvrier journalier, spécialisé dans l’exploitation du charbon de bois, les carbonari, avec son grand-père et son oncle. Mais avec la disparition de cette pratique, il travaille aux ponts et chaussées, avant d’obtenir un poste à la mairie.

Vient le tour des frères et sœurs aînées de prendre le relais : Si sa sœur travaille à l’usine à liège Alessandri pour la fabrication des bouchons, les frères sont dans la maçonnerie et deviendront les premiers artisans à construire les maisons de Marina di Fiori.

Ernest, lui, fait son petit bonhomme de chemin : ses semaines sont rythmées par l’école, la coupe du bois et l’entretien de ce qui permet de manger tous les jours : le jardin potager, le poulailler et le parc à cochons.

Son école : c’est le groupe élémentaire et collège Joseph Pietri, premier établissement scolaire de Portivechju. Construit en 1936, ce bâtiment aurait eu comme première vocation, la possibilité d’en faire un hôpital en cas d’hécatombe de blessés de guerre…

Si ce ne sont les cours de mathématiques, l’école pour Ernestu n’est pas vraiment une partie de plaisir, surtout le français… Quand il fait sa rentrée à l’âge de six ans, sa langue maternelle est le corse. Alors appréhender l’ensemble des matières dans une langue qu’il ne connaît pas, où les manuels scolaires n’existent pas, est déjà un obstacle en soi… Et puis, il faut le dire, il n’est pas non plus un enfant très discipliné et il réussit, l’année de son brevet, à se mettre à dos tous ses professeurs qui demandent son renvoie…

Pourtant, une personne l’apprécie et croit en lui : M. Léon Boujot, son directeur et professeur de math. Il le fait quérir dans son bureau et lui demande de présenter ses excuses à tous ses professeurs, un par un, pour éviter son renvoie. Le directeur a une idée en tête : inscrire Ernestu dans une section spéciale de l’école, unique en Corse : la Classe Préparatoire au concours d’entrée à l’Ecole Normale d’Instituteurs.

Son chemin de vie vient de s’éclairer…

Le parcours d’un instituteur

Après quatre années d’études à l’Ecole Normale, Ernestu Papi, en 1965, devient instituteur.

Sa première nomination est au cœur de la Castagniccia, dans le petit village de Verdese où l’attend une classe de cinq enfants. Il se retrouve coupé du reste du monde : pas de moyen de locomotion, pas de commerces, seulement un bar avec une télévision. Et pourtant, il va passer une année merveilleuse : l’accueil qui lui est réservé est sans commune mesure : Ernestu va retrouver dans ce village isolé l’âme rustique de la Corse. Quand vient le soir, tout le monde se retrouve au bar avec du vin et des châtaignes, sur un fond de paghjella, accompagné d’un violoniste de 80 ans. Une année mémorable…

L’année suivante, le jeune homme part seize mois au Tchad accomplir son service militaire dans un centre coopératif pédagogique, afin de former des instituteurs tchadiens. Elève hier, le voilà à son tour formateur.

De retour en Corse, normalement en poste à Migliacciaru, une opportunité se présente au village de Chera. Le voilà enfin proche des siens. Suivra Taddu Russu di Santa Lucia di Portivechju, puis Ternità.

Les classes sont uniques avec 25 élèves où tous les niveaux sont rassemblés, du CP au CM2, prémices des classes à double niveau d’aujourd’hui.

Le travail requis est extrêmement fatiguant pour l’instituteur, en revanche l’enrichissement personnel et pédagogique pour l’enfant est indéniable. Tous ces élèves qui arrivaient en classe de Sixième se classaient parmi les meilleurs, leur autonomie et leur éveil personnels faisant la différence.

Après pratiquement douze ans de classe unique, au début des années 1980, Ernestu Papi rejoint les rangs de l’école Joseph Pietri. En 1989, le Syndicat pousse le jeune enseignant à candidater au poste de maitre directeur récemment mis en place par décret ministériel. Inspection et tests divers effectués,  Ernestu sort major parmi les 5 maitres directeurs retenus sur la Corse du sud. Ayant le choix de sa mutation entre Aiacciu, Santa Maria è Sicchè et Sulinzara, le jeune promu s’engage sur la route des Nacres. L’année suivante, le départ à la retraite de Mme Angèle Favard, alors à la direction de l’école maternelle Funtana Vechja, permet à Ernestu de revenir à Portivechju.

Commencent ses premières réflexions d’écriture. L’instituteur cherche une solution pédagogique pour l’apprentissage de la langue corse aux enfants.

A l’occasion d’un concours de contes réalisés avec les enfants et organisé par l’Inspection d’Académie, l’instituteur se lance avec ses élèves dans l’écriture de « Nocca », une petite plante des montagnes. Sa collègue de Maternelle, l’institutrice Lucia Thiers, réalise alors les illustrations. C’est un franc succès, une série de six contes sortira aux éditions Albiana et remportera un Prix Spécial du jury de la Collectivité Territoriale.

Après 37 ans d’engagement dans le monde scolaire, Ernestu Papi prend sa retraite en 1998, mais la passion de la transmission la langue corse perdure.

L’engagement de l’écriture

Ce besoin d’écrire se révèle à Ernestu Papi avec les évènements d’Aleria de 1975. C’est à ce moment précis que l’instituteur ressent un besoin d’émancipation et de travailler pour la langue corse conscient qu’elle dépérit.

Il se tourne vers les premiers stages de formation pour l’enseignement de la langue corse, dispensés par l’Université de Corse. C’est avec son professeur Mme Marie-Josée Dalbera qu’Ernestu découvre la linguistique, la phonétique, la grammaire, etc… tout un monde de règles inconnues qu’il trouve fantastiques. A tel point qu’il s’engage, à son tour, à enseigner la langue dans sa classe de Trinité, malgré le manque d’officialité et le risque du blâme … Cet engagement est accueilli de manière positive et même validé par l’inspecteur d’Académie du continent venu le contrôler !

Ce besoin de transmettre est tellement vif que, lorsque se libère, à l’Inspection primaire de Sartène, un poste de formateur de langue corse pour les instituteurs, Ernestu Papi saisit l’occasion et postule.

La rencontre avec ces enseignants en formation va ouvrir une nouvelle perspective sur l’apprentissage de la langue corse. En effet, la demande récurrente de ses « élèves-enseignants », quant à la connaissance de proverbes sur tous les domaines : la nature, la chasse, l’agriculture, etc…, va être une révélation.

Ernestu veut avoir suffisamment de ressources pour aider les enseignants à transmettre la langue corse. … Il s’engage, alors, dans un travail de recherche sur les proverbes et les dictons corses : un travail faisant appel à ses connaissances, aux connaissances de son entourage, à de la prospection sur le terrain et sur les parutions, rares à l’époque, dont certaines uniquement consultables à la Bibliothèque universitaire de Corte. Avec, en parallèle, le regard porté sur les proverbes des autres pays, fondés sur les parlers régionaux…

Après plus de vingt ans de travail titanesque et de recherche acharnées, sort « Pruverbi, A sapienza è a saviezza di i populi ; Proverbes, La connaissance et la sagesse des peuples » aux éditions Clémentine.

Son éditeur, François Ballestrière, confiant en ses capacités, le pousse alors à faire tout seul, un travail qui est normalement collectif : un dictionnaire de la langue corse. Cet ouvrage requerra cinq années de travail… Va suivre d’autres dictionnaires : pour les adultes, pour les amateurs de chasse, spécifiques aux enfants de 7 à 10 ans, aux enfants de Maternelle, des imagers, etc… : la connaissance doit être accessible à tous.

L’écriture devient aussi un moment d’amusement destiné principalement aux enfants avec des Nouvelles, « Contami Ghjà », des Pièces de théâtre, « Cuntrasti Campagnoli », des adaptations en langue corse comme « A capra di zì Martinu » (« la chèvre de M. Seguin ») ou encore des traductions comme la série enfantine « T’choupi ». 

Au total, Ernestu Papi peut compter à son actif, une dizaine de dictionnaires, près d’une trentaine de productions et une vingtaine de traductions.

La passion de la langue anime Ernestu et, surtout, les écrits restent…

La langue corse, un patrimoine en danger parmi d’autres

C’est un engagement que s’est fixé Ernestu Papi à travers ses écrits, par sa participation active à la découverte, à l’enrichissement et à la divulgation de la langue corse.

Une langue qui n’a ni vocabulaire et ni grammaire est vouée à disparaître.

A travers ses dictionnaires et ses livres de grammaire, Ernestu a voulu démontrer que la langue corse est une véritable langue avec ses structures, sa syntaxe. Et même s’il existe des variantes au sein même de la langue à travers sa grammaire, son orthographe ou même sa prononciation, il y a toujours une cohérence grammaticale. C’est ce qu’il a voulu transmettre avec sa « Grammaire pratique de la langue corse », ainsi qu’avec sa nouvelle édition à paraître « Grammaire comparative de la langue corse ».

L’écriture est un bien qu’Ernestu veut laisser aux autres, même si bien sûr il s’agit d’un enrichissement personnel. Cet enrichissement doit être partagé avec les enfants, les jeunes et les moins jeunes ; l’écriture plus que l’oralité parce qu’elle laisse une trace tangible.

Le travail est acharné, incessant, d’autres idées sont en projet, comme celle d’effectuer un travail de recherche sur les noms et les surnoms des Porto-Vecchiais ou encore raconter la vie de Portivechju dans les années 1950-1960. Parce que c’est ce qui porte la langue corse à travers le temps.

L’ancien instituteur estime pourtant qu’il y a encore beaucoup de travail à faire en linguistique, à l’image d’autres patrimoines insulaires, telle que l’architecture traditionnelle corse qui tend à disparaître.

Mais la positivité reste, il n’y a qu’à regarder l’engouement des jeunes, que ce soit dans les villages ou dans les villes, qui s’engagent dans les confréries, dans les festivités religieuses et laïques traditionnelles. Il faut garder l’espoir qu’ils continuent à les reproduire et ainsi à les transmettre…

Il y a eu, avec le Riacquistu des années 1980, un élan de prise de conscience de l’importance de la culture, du savoir et du savoir-faire traditionnel et actuel, mais aussi des domaines nouveaux comme l’environnement.

La jeunesse s’est engagée sur ce chemin, encouragée également par l’Université de Corse qui a œuvré dans les domaines culturel et économique, et continue aujourd’hui de proposer des formations adaptées à la réalité locale.

Et puis l’âme corse, c’est aussi la transmission des valeurs familiales intrinsèques à la Corse : le travail, la solidarité et l’hospitalité. Comme les parents d’Ernestu qui travaillaient sans relâche pour subvenir aux besoins de la famille et qui, malgré la misère quotidienne, avaient toujours des invités à table : la transmission n’allant jamais sans le cœur…

Lui transmet avec la plume, et c’est avec une certaine fierté, qu’Ernestu voit aujourd’hui son fils Jean-Charles véhiculer cette même passion à travers le chant et la poésie.

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