A CANTINA
di L'ORRIU
PORTRAIT DE LA FAMILLE ANDREANI
Lorsque l’on parle de patrimoine et de traditions, instinctivement nous pensons aux vieilles pierres, aux rituels ancestraux, mais il est aussi une de ces valeurs qui n’en est pas des moindres et qui est liée, depuis la nuit des temps, aux racines pastorales insulaires : la gastronomie. Et la famille Andreani peut être présentée comme des passeurs de ce patrimoine…
C’est une histoire d’amour la cuisine, il faut tomber amoureux des produits et puis des gens qui les font.
Alain Ducasse
DATES CLÉS
1930
Ouverture de l’Alimentation générale de Roch Tafani
1985
Ouverture de l’épicerie l’Orriu
1996
Naissance du bar à vin a Cantina di l’Orriu
9 mai 2009
Inauguration du restaurant
Le Bazar de Brigitta
L’enseigne l’« Orriu », et plus récemment « A Cantina di l’Orriu », enracinée dans la citadelle depuis plus de 40 ans, fait partie des institutions de la ville. C’est-à-dire de celles qui marquent la population locale tout comme ses visiteurs…
Mais il y a une histoire avant cette histoire…
Au début du XXème siècle, la jeune Brigitta Beretti du village Gualdaricciu, qui vient d’épouser Cesaru Filippi de Quenza, descend vivre à Portivechju.
La jeune mariée s’ennuie et, d’une pièce du rez-de-chaussée de leur nouvelle maison, Brigitta en fait un commerce, plus précisément un bazar, un lieu où tout pouvait se trouver : de l’alimentation, du tissu, des aiguilles et du fil, de la vaisselle de Limoges, des vêtements, des chaussures de travail, etc… C’était une époque où la pauvreté était omniprésente, où l’on vendait pour subvenir aux besoins des uns et des autres, et il n’était pas rare de voir Brigitta faire du troc avec les bergers, les paysans, les artisans, etc…
De cette union, naîtra cinq enfants : Catherine, François, Roch, Marie et Antoine qui, sous l’impulsion probable de Brigitta, prendront tous la voie du commerce.
C’est ainsi que Roch Filippi ouvrira en 1930 sa buttega, sa petite épicerie d’alimentation générale et quelques bricoles du quotidien, où trônent pétrin de pierre, tonneau à vin, bancs de bois, nasses de jonc… un décor authentique qui perdurera des décennies après sa disparition. C’est un quotidien d’antan, où la vie de Roch se partage entre son commerce, la culture des jardins de famille au Pinonu et sa passion pour la pêche, où sa barque amarrée au port l’attend chaque soir après le travail…
Mais Roch tombe très gravement malade et sa fille, Danièle, qui n’alors que 17 ans, doit venir relayer son papa qui ne se remettra pas…
Le lycée abandonné, la jeune fille se consacre au magasin… Mais chemin faisant, l’amour vient toquer à sa porte et la rencontre avec un jeune homme du Fium’Orbu vient tout remettre en question… Danièle se marie avec Jean-Louis Andreani en 1969 et quitte Portivechju pour rejoindre son époux, laissant l’épicerie en gérance.
La Naissance de l’Orriu
Au bout de dix ans, en 1979, Danièle se décide à revenir à Portivechju pour reprendre le commerce paternel.
La consommation a changé, les grandes surfaces commencent à voir le jour, son commerce s’essouffle et Danièle se rend compte qu’elle vend plus de produits corses que d’alimentation générale. Elle se décide à transformer la buttega en épicerie de produits corses.
En 1985, de gros travaux sont entrepris pour donner une nouvelle envergure à ce lieu qui sera désormais une épicerie consacrée à la gastronomie corse.
Les enseignes commerciales font maintenant partie du paysage urbain et, Danièle se met en quête d’un nom. La discussion bat son plein avec son voisin du Stazzale, M. Joseph Branca, aubergiste de Farruccio. Elle lui demande ses lumières pour baptiser son épicerie, car elle veut sortir des noms comme Prizuttu, Spuntinu, etc… M. Branca vient voir le commerce qui est en plein travaux, il rentre au fond de ce lieu obscur et s’exclame alors « Madonna, pare un Oriu ! » : L’enseigne « Orriu » était née ! Mais avec deux « r », les dictionnaires consultés à l’époque le présentant avec cet orthographe… Le terme d’Oriu venant du catalan orri, lieu d’estive pour le berger et ses bêtes, qui viendrait lui-même du latin horreum, signifiant grenier ou de hortus, jardin.
A la fin de l’année 1985, l’Orriu ouvre ses portes et, 3 ou 4 ans plus tard, Jean-Louis, alors banquier à Ghisonaccia, démissionne et rejoint à son tour son épouse.
A partir de là, le couple sillonne toutes les routes de Corse, traversant les villages les plus reculés du Niolu, de Bucugnà, etc… Partir à la découverte des producteurs insulaires, respectueux de leurs produits, est le fer de lance du couple Andreani. Car il faut le dire, ils sont engagés dans le militantisme identitaire.
La défense de l’identité par la valorisation des producteurs
Danièle et Jean-Louis Andreani sont des porteurs du Riacquistu, mouvement de réappropriation de la culture corse. Dans les années 1980, ils participent aux réunions du Palazzu Naziunale de Corti où ils se retrouvent avec d’autres jeunes de l’époque pour réfléchir à la manière de s’en sortir économiquement et culturellement. Les idées émergent pour la gastronomie : il faut travailler les plantes et les fruits insulaires : la myrte, l’arbouse, le cédrat, la clémentine… Les discussions vont bon train entre Danièle et Françoise Ceccaldi d’Evisa, productrice de châtaignes, qui s’engagera dans la valorisation du savoir-faire nustrale à travers « Dolci Corsi ». La maison Ceccaldi, parmi tant d’autres, est un des premiers producteurs distribués par l’Orriu. Tout comme naîtra le collectif d’éleveurs « Testa Nera », précurseur insulaire de l’AOP, garantissant la traçabilité et la qualité de la charcuterie corse, et dont l’Orriu et quatre autres commerces de Corse subventionneront la démarche.
Car la démarche est profondément identitaire, il faut mettre en avant les producteurs locaux, et le couple Andreani leur donne les moyens de se faire connaitre : il va à la rencontre de chacun, se rend sur les domaines viticoles pour gouter leurs productions, fait le tour des foires pour découvrir de nouveaux producteurs et agriculteurs, se déplace sur les exploitations pour récupérer les produits en direct, etc…
C’est le parti pris de Danièle et Jean-Louis Andreani : rendre leur collaboration pérenne et qualitative… D’ailleurs leurs producteurs de charcuterie, de fromages, etc… d’hier sont les mêmes qu’aujourd’hui, ou leurs enfants qui ont repris les exploitations…
Malgré tout, des collaborateurs ont disparu, les conditions de travail du monde agricole sont très tendues, à cause bien sûr de l’inflation, mais aussi du problème climatique entraînant des problèmes de sécheresse, de lactation… Les bergers tendent à disparaître ou, en tout cas, ils sont obligés de se diversifier : ils font aussi de la charcuterie, du bois en hiver, etc…
Aujourd’hui ce qui sauve le monde de la ruralité, c’est l’évolution de la demande identitaire : les clients d’aujourd’hui sont en quête de produits insulaires et de qualité. Garant de ces gages et participant à l’économie locale, l’Orriu reçoit la reconnaissance de ses clients, mais aussi de ses producteurs qu’il fait travailler. D’ailleurs lorsque les charcutiers ont obtenu leur AOP, c’est à l’Orriu qu’ils sont venus célébrer ça !
La relève
Depuis 2013, Danièle et Jean-Louis sont à la retraite, mais la continuité s’est faite naturellement avec leur fille Delia. Ce petit bout de chou qui, dans les années 1980, se trouvait à l’arrière du véhicule de ses parents, entre les cagettes et les caisses de producteurs, partant découvrir le monde du terroir dans les domaines et sur les foires : une transmission culturelle, humaine et gastronomique spontanée reçue à côté des valeurs engagées de ses parents.
Delia grandit dans cet environnement, aide à l’épicerie et au bar à vin a Cantina di l’Orriu qui est venu agrandir l’aventure en 1996 et, malgré une licence de psychologie à Aix en Provence, son cœur choisit l’entreprise familiale.
A Cantina apporte une nouvelle clientèle, l’esprit est plus festif, où tout le monde se mélange, du Corse au non Corse, de l’avocat à l’ouvrier, les barrières tombent… Delia est une des premières à faire venir des chanteurs. C’est comme cela que le 18 septembre, date d’anniversaire de sa maman, est devenu un moment phare de chaque fin de saison.
Au départ, on vient déguster un bon vin corse servit avec des planches de dégustation de charcuterie et de fromages, puis la demande devient grandissante, Delia commence à proposer quelques salades, puis un plat du jour, puis des desserts, mais les réservations explosent et la pression avec…
A Noel 2008, s’ouvre l’opportunité de récupérer l’ancien restaurant Le Donjon. En quelques mois, tout est déconstruit pour être reconstruit et le 9 mai 2009 est inauguré le restaurant de la Cantina. Le travail est intense, il faut former de nouveaux cuisiniers, le travail du produit frais demande beaucoup de temps car ce sont des bêtes entières qu’ils reçoivent : des cabris, des veaux, des agneaux… Puis Delia développe les produits traiteurs fait maison comme les terrines.
Puis, en 2013, il y a La Rencontre, celle d’Antoine Delaforge. De formation hôtelière, Antoine apprend le métier de sommelier auprès des meilleurs cavistes en Angleterre, Les Caves de Pyrene, le terroir wine bar, … et, alors directeur d’un établissement saisonnier à Portivechju, les deux jeunes gens se rencontrent et ne se lâchent plus. En 2017, Antoine rejoint l’aventure familiale et apporte son expérience, ses connaissances et sa touche. Aujourd’hui, l’Orriu a doublé sa cave à vin, ce sont plus de 400 références qui sont présents à la carte, si 80 % du vin reste corse, Antoine y a introduit des domaines du continent.
Alors oui, Delia et Antoine ont apporté des changements autant gastronomiques avec plus de végétale, des inspirations cherchées au cours de leurs voyages, que techniques avec des aménagements mieux pensés comme une véritable cave à vin pouvant accueillir convenablement et à bonne température l’ensemble de leurs vins, ou encore que diversifié comme la vente par correspondance avec un site internet dédié, mais l’âme de ces lieux est toujours là, forte de sa devise identitaire…
Voilà ce que retient la famille de l’Orriu, depuis le début de l’aventure, c’est la découverte de gens extraordinaires, le contact direct avec le monde rural d’une profonde générosité, et tant d’autres belles choses… Car bien au-delà de l’aspect commercial, l’Orriu ce sont des rencontres humaines, des bons produits et des valeurs de la Corse de l’intérieur, celle des gens qui travaillent de leurs mains pour cette terre…